Séance
ACAZINE « Fanzine et numérique »
13 février 2023 au
Campus Condorcet
salle 3.05 située au 3ème étage
Mais les fanzines, ce ne seraient pas juste des blogs version papier ?, se demande, avec une pointe d’ironie, Chip Rowe qui a signé le Book of Zines en 1997.
Et c’est vrai que les points de convergence entre nos zines qui circulent de mains en mains et les blogs qui ont fleuri sur la Toile sont nombreux : l’expression d’un message direct, sans passer par un quelconque intermédiaire éditorial ou institutionnel, la publication simple et immédiate, pourvu que l’on ait appris quelques rudiments de bricolage à base de colle, de ciseaux ou d’électronique, la pas-sion qui anime les auteurs, qui souvent ne tirent pas le moindre écu de leur plume, puis la liberté de ton et de thème, avec son merveilleux corollaire : l’infinie diversité de sujets, de formes et de styles qu’explorent ces deux objets. C’est sans compter la philosophie qui a pu animer les premiers âges d’Internet, bien avant l’empire des réseaux sociaux et la domination sans échappatoire des GAFAM : ces âges pionniers des années 1970 et 1980 où, comme le montre Fred Turner dans Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture : Steward Brand, un homme d’influence, les réseaux en ligne étaient portés par une aspiration libertaire héritière de l’univers du rock, des communautés hippies et de l’augmentation de soi par les psychédéliques. Il fut un temps où l’on aurait bien pu croire qu’Internet serait le neveu de l’esprit do-it-yourself que les fanzines avaient insufflé dès les années 1930.
Et pourtant ! C’est par la négative que Chip Rowe répond à sa question. Non, les zines n’ont rien à voir avec des blogs, pour la raison essentielle qu’ils « existent et encombrent un espace IRL » (in real life, donc), et que l’on « ne peut pas relier un blog avec du Scotch ou des agrafes, [ni] davantage relier un zine avec du CSS ou du html ». D’ailleurs, si la communauté des zineurs a pu investir les écrans avec la vogue des e-zines dans les années 1980 et 1990, c’est pour ensuite s’en détacher, jusqu’à en arriver aujourd’hui à un engouement inespéré pour les fanzines papier, avec leur épaisseur de pages, d’encres, d’approximations, de grains et de hasards, à l’heure pourtant de la dématérialisa-tion généralisée. Il en va des fanzines comme des vinyles : tout se passe comme si la menace des pixels les faisait revivre.
Cette séance du séminaire ACAZINE entend plonger dans les aspérités complexes de la relation faite d’amour et de haine entre les fanzines et le monde numérique. Après l’intervention d’Izabeau Legendre qui posera le cadre théorique et les jalons historiques du lien houleux entre fanzines et nu-mérique, on explorera des exemples créatifs de leurs modes d’interaction. Des fanzines papiers inspi-rés par les réseaux sociaux – avec Elisabetta Cunegatti – jusqu’aux fablabs qui mettent les technolo-gies au service de l’autoédition – avec Marie Daubert –, les formes de rencontre entre le fanzinat et l’électronique se réinventent sur la scène contemporaine.
Intervenants : Izabeau Legendre, Elisabetta Cunegatti, Marie Daubert.
Coordination : Ariane Mayer
Izabeau Legendre
Titre
: Zines Are Dead !
Fanzinat, numérique, et longue durée au tournant du millénaire
Resumé
:
Le tournant du millénaire est
marqué, dans le fanzinat, par une période de crise importante. Comme pour les
secteurs les plus établis du monde de l’édition, le fanzinat est profondément
affecté par la démocratisation de l’informatique, par l’avènement du web et de
la presse en ligne. Rétrospectivement, ce moment marque un changement majeur
dans la production de fanzines, caractérisé comme un passage du zine en tant
que média au zine en tant qu’artefact (Zaytseva 2018).
En suivant, des années 1980 aux
années 2010, l’évolution des prises de position d’actrices et acteurs du
fanzinat, il s’agira de montrer comment s’est effectué cette importante
transformation, en en notant quatre moments clés : 1) un enthousiasme pour
l’informatique, les « e-zines » et la dimension utopique de
l’internet dans les années 1980 et 1990; 2) une certaine panique « fin de
siècle » et la mort annoncée du fanzinat dans les années 1990; 3) la
valorisation de la matérialité contre les aspects communicationnels du fanzine
au début des années 2000 (« zines are not blogs », Freedman 2005); et
4) la revendication du fanzine, objet imprimé sur papier, comme résistance à la
culture numérique au courant des années 2010.
Sachant le caractère nettement
distinctif des fanzines publiés depuis les années 2000 et 2010 au regard de
l’histoire du fanzinat, l’étude de ce moment de bascule permettra de montrer
comment, à travers des débats et une réactualisation des pratiques, des formes
nouvelles ont pu s’inscrire dans la longue durée, reconfigurant la façon de
penser l’ensemble de l’histoire du médium.
Biographie :
Izabeau Legendre est candidat au
doctorat à l’Université Queen’s, au Canada. Ses recherches portent sur le
fanzinat, les différentes « scènes du zine », et la place que les
fanzines occupent dans le champ culturel et la vie politique. Il est l’auteur
de La scène du zine de Montréal (2022), une étude décrivant
l’organisation, l’histoire et la place de la scène montréalaise du zine dans le
champ culturel québécois. Sa thèse doctorale porte sur l’histoire des rapports
entre fanzine et politique sur le temps long (depuis 1930), et à travers trois
aires linguistiques (anglophone, francophone, germanophone).
*
Intervenante : Elisabetta
Cunegatti
Titre
: Fanzines et réseaux de rencontre :
archives d’identités
Resumé
:
Peu
avant le début de cette nouvelle ère pandémique, je me suis penchée sur la
question de la construction d’identité via les réseaux sociaux, pour me
concentrer ensuite sur les applications de rencontre, comme Tinder.
Ces
plateformes peuvent être considérées comme des archives temporaires
biographiques, gouvernées par des algorithmes, où les personnes attendent comme
des produits sur une étagère, à portée de main de chaque possesseur de
smartphone. Ces applications, qui s’articulent comme une galerie infinie
d’autoportraits, adressent dès l’inscription, la question de la construction
d’une identité virtuelle.
Ma
recherche essaye d’extraire du monde virtuel les éléments qui composent
l’identité de séduction des hommes contemporains. C’est un arrêt sur image qui
tisse une nouvelle philosophie de l’amour aux temps des réseaux. C’est une
manière de dépasser la volatilité des applications pour rejoindre le domaine du
lyrisme de l’amour.
C’est
une recherche personnelle qui ne se veut pas exhaustive, d’où l’intérêt de
présenter le travail sur le sujet mené par les artistes Hélène Souillard, 16b
éditions, Giampiero Bianchi.
Biographie
:
Née
en 1988 à Vérone en Italie, Elisabetta Cunegatti vit et travaille à Paris en France.
Après
des études en économie, elle travaille dans le marché de l’art contemporain
avant d’intégrer un cursus d’arts-plastiques.
Elisabetta
Cunegatti développe un travail d’écriture fondé sur le rapport texte-image,
avec des images qui sont traitées plastiquement et des poèmes photographiques.
Son
esthétique nomade est fondée sur les rencontres et les déplacements qui font
écho à son histoire personnelle et à ses origines.
Le
résultat est une fusion de contrastes et contradictions, basé sur une
fascination profonde pour les mythes, le reggaeton, la littérature, la mode.
À
travers ses créations elle illustre les dérives du capitalisme, les théories
d'extinction, crée des nouvelles formes d'apocalypse et invente des histoires
d’anticipation.
Sa
recherche actuelle se concentre sur la création d'identités à travers les sites
de rencontre.
Contact :
site web : cargocollective.com/elicunegatti
Insta :
@Elisabetta.Cunegatti @perleditinder
blog : elicunegatti.tumblr.com/
*
Intervenante : Marie Daubert
Titre : Fanzines et fablabs
Résumé: Pendant le confinement, constatant que le DIY et les fanzines sont quoi qu'on en dise essentiels, l'équipe informelle Makercrew constituée autour du Rambot du Cactus, le RffLabs et feu-Demophone, lancent le Makerzine, fanzine de la communauté Maker.
Alors que les makers s'organisent pour fabriquer des masques et équipements de protection pour les soignants, le Faire-soi-même devient la règle. Pour la première fois, la théorie de la fabrication distribuée prend corps. Selon le principe maker que rien n'est tout à fait impossible, l'idée se propage alors à tous les secteurs. Et si c'était possible de faire des média en fabrication distribuée ? Le Makerzine, les Apéro makers sur Twitch, toutes sortes de formes culturelles autoproduites apparaissent pour rompre l'isolement et faire communauté. C'est quoi un maker: tout le monde, s'il ou elle le décide.
Depuis, le fanzine et la micro-édition sont une des multiples formes qui surgissent en fablab et s'éteignent parfois tout aussi rapidement. L'intelligence collective et la capacité de former des équipes de travail efficientes bien que mouvantes définissent peut-être une forme d'écriture particulière. Le rapport à la technique détermine-t-il une esthétique? Pas vraiment, mais le fanzine, en tant qu'objet destiné à un lecteur, pose une finalité de l'objet qui fait parfois défaut en fablab. Enfin, nous pourrons interroger le rapport entre le fanzine et la communauté, qui est une des caractéristiques structurantes des tiers-lieux tels que les fablabs.
Biographie : Il y a 18 ans, Marie Daubert explorait avec son fanzine Demophone la scène autoproduite française. Démos, zines, microlabels, la vie des gens. Aujourd'hui elle est graphiste, engagée dans les réseaux de makers, low-tech, défense des forêts vivantes, zéro déchet, la Commune de 1871. A travers toutes ces luttes, elle prône l'autoproduction, qui s'exprime toujours sous de nouvelles formes
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