16 sept. 2016

Publication - Récifs coralliens et paysages géomorphologiques littoraux des îles Marquises


Contribution à l'ouvrage "Biodiversité terrestre et marine des îles Marquises", chapitre 4 coécrit avec Lucien Montaggioni et Claire Seard.

Les paysages géomorphologiques littoraux des îles Marquises relèvent du paradoxe géographique : très singuliers dans l’espace polynésien où ils affirment leur originalité par la quasi-absence des bioconstructions coralliennes au niveau actuel de l’océan, ils sont dans le même temps relativement banals en termes de grands ensembles paysagers des littoraux volcaniques. Ce paradoxe puise ses origines dans l’histoire géologique et climatique récente, plus spécifiquement la période postglaciaire marquée par une transgression marine saccadée qui a perturbé le développement des récifs coralliens. Quatre générations de constructions récifales, dominées par les coraux scléractiniaires du genre Porites, localement associés à des Acropora, ont en effet été identifiées le long des pentes sous-marines des îles Nuku Hiva, Hiva Oa et Eiao. Actuellement étagées entre les isobathes 125 et 55 m, ces bioconstructions se sont respectivement développées au cours de la dernière déglaciation, entre 26600-25300 ans BP, 16200-14560 ans BP, vers 12400 ans BP et entre 9500-9000 ans BP. Elles se situent respectivement aux profondeurs de 125-115 m, 110-95 m, 80-68 m et 60-55 m sous le niveau actuel de la mer. Elles ont été successivement ennoyées par la remontée rapide de la mer, respectivement vers 19000, 14000 et 11500 ans BP. L’identification de ces structures en tant que récifs coralliens repose à la fois sur leur architecture (terrasses, plates-formes subhorizontales formant des anomalies topographiques) et leur composition biologique et sédimentologique. Cinq biofaciès ont été reconnus, comprenant des calcaires bioconstruits à coraux et algues calcaires, des calcaires bioaccumulés riches en organismes « récifaux » variés et un faciès exprimant le passage d’un milieu récifal à un milieu plus profond, circalittoral. La succession verticale des faciès exprime une séquence d’approfondissement, contrôlée par la remontée rapide du niveau marin. La construction récifale se serait définitivement interrompue vers 9000 ans pour laisser la place à des peuplements coralliens dispersés et non-récifaux. Vers 7400 ans BP, le genre Acropora disparaît des fonds marquisiens. Ces deux événements seraient la conséquence d’une intensification de l’activité du phé- nomène El-Niño dans le Pacifique central et oriental à partir du début de l’Holocène. En surface, le type physiographique archi-dominant est la côte rocheuse qui se décline en falaises plongeantes ou en falaises frangées de plate-forme d’érosion marine basale ; les côtes meubles sont rares (moins de 8 % du linéaire côtier) mais diversifiées (systèmes plage-dune, grèves, plages à blocs) et jouent un rôle majeur dans l’histoire de l’occupation humaine des littoraux. Ainsi, c’est à l’échelle locale, au niveau des modelés de détail presque, que la richesse paysagère des Marquises s’affirme, soulevant nombre de questions inédites sur les dynamiques géomorphologiques à l’œuvre.

Abstract.
Geomorphological landscapes of the Marquesas islands fall within a geographical paradox: they are very uncommon in the Polynesian area where they claim their originality by the virtual absence of coral buildups, and they are at the same time relatively trivial in terms of volcanic coastlines. This landscape paradox is related to the recent geological and climatic history, especially the sea level rise. Four successive reef-growth episodes, typified by the dominance of Porites corals and the occurrence of Acropora forms, were identified along the foreslopes of Nuku Hiva, Hiva Oa and Eiao Islands. At present found at depths from 125 to 55 m, these buildups developed between 26,600-25,300 years BP, 16,200-14,560 years BP, at around 12,400 years BP and between 9,500-9,000 years BP. The buildups are at present localized at depths of 125-115 m, 110-95 m, 80-68 m and 60-55 m, respectively. Reef drowning phases occurred repeatedly during the last deglaciation, in response to rapid rises in sea level, respectively at about 19,000, 14,000 and 11,500 years BP. The successive buildup units have been recognized as true framework reefs on the basis of their architectural and compositional patterns; these form high-relief, terraces and platforms and comprise four reef-related biofacies, including coragal boundstones and detrital deposits rich in a variety of reef-dwelling organisms. The fifth identified facies reflects changes from reef to deeper depositional environments. The replacement of shallow-water biological associations by deeper ones is interpreted as an upward-deepening sequence. Reef growth may have stopped definitively at around 9,000 years BP while replaced by the settlement of scattered, non-reefal coral communities. At about 7,400 years BP, the genus Acropora disappeared from the Marquesas bottoms. Both events may have been driven by an increase in El-Niño frequency and intensity over the Holocene. Near the present sea-level, the predominant physiographic type is the rocky coast which comes in plunging cliffs or cliffs fringed with shore platform; sedimentary coasts are rare (less than 8% of the coastline) but diverse (beach-dune systems, pebble and boulder beaches) and play a major role in the history of human occupation of the coasts. Thus, it is at the local level, considering small landforms, that the rich landscape of the Marquesas emerges, raising many new questions about the geomorphic dynamics at work.

Galzin R., Duron S.-D. & Meyer J.-Y. (eds), 2016. Biodiversité terrestre et marine des îles Marquises, Polynésie française. Paris: Société française d’Ichtyologie. 526 pages