La notion de scène locale comme mécanisme de construction de territoires musicaux.
L’exemple des scènes punk et metal du Bocage vendéen.
Gérôme Guibert1 et Samuel Etienne2
1 Docteur en sociologie (Lise – UMR6209 du CNRS, CNAM). 2 Maître de conférences en géographie (GEOLAB – UMR6042 du CNRS, Université Blaise-Pascal Clermont-Ferrand 2).
La Vendée est un territoire qui possède une identité assez forte, centrée sur un patrimoine culturel (musiques traditionnelles notamment) exploité par le tourisme (Puy du Fou) et sur des valeurs politiques conservatrices incarnées par un leader et son mouvement politique (P. de Villiers et le MPF). L’exploitation de ces données par les médias a conduit à la production de clichés que différentes données socio-démographiques permettent de conforter ou bien de nuancer. En réalité, notre étude de terrain effectuée sur les pratiques musicales en Vendée fait voler en éclat ces idées reçues (Guibert, 2004) : non seulement, les groupes de « musiques amplifiées » (Touché, 1996) sont présents en nombre dans ce département mais, de plus, leur répartition permet de différencier des territoires ancrés sur des cultures musicales différenciées.
Nous montrerons ainsi, à travers l’analyse du Bocage vendéen, considéré comme le cœur de la Vendée conservatrice, comment se forment des scènes locales centrées sur des pratiques musicales émergentes. Loin d’être des comportements culturels simplement importés ou imposés de l’extérieur, ces scènes locales prennent corps autour de communautés d’amateurs de musiques qui, dans un premier temps, échangent des produits culturels (divers supports enregistrés), puis partagent des lieux (disquaires, locaux de répétition, salles de concerts, festivals), créent des outils de communication ou de diffusion de la culture d’appartenance (radios associatives, fanzines, Etienne, 2003), contribuant à une amplification de la scène et à sa diffusion dans l’espace. Peu à peu, un territoire musical singulier s’affirme, polarisé par quelques acteurs locaux (individus, associations), souvent en marge d’une visibilité médiatico-politique. Il s’avère que le Bocage vendéen est dominé par des scènes locales punk et metal qui apparaissent, a priori, en antagonisme avec l’image réductrice que l’on se fait de ce pays.
Finalement, nous analyserons la manière dont ces scènes locales – ancrées sur des cultures musicales aux prétentions globales – se conjuguent à différentes échelles territoriales. A l’échelle locale, on peut reconnaître une certaine résonance entre les valeurs philosophiques du punk réappropriées par la jeunesse du Bocage et certaines valeurs rurales traditionnelles (solidarité communautaire) ou bien encore entre le dynamisme associatif des scènes punk et metal et celui des communes rurales étudiées. Au niveau national, la scène locale vendéenne diffuse son identité par l’intermédiaire d’un réseau informel de distribution de médias alternatifs produits localement, contribuant à faire du Bocage un « lieu de condensation » (Debarbieux, 1995) de la culture punk hexagonale. Au niveau cybernétique, la scène locale se « dé-localise » via Internet. Il en va ainsi, par exemple, de l’existence de listes de distribution en ligne (Aïnu, par exemple) qui proposent des biens liés aux cultures musicales ; listes virtuelles qui se « rematérialisent » régulièrement à l’occasion de concerts donnés en Vendée ou ailleurs : le lieu culturel occupe alors une place plus importante que le lieu géographique dans l’existence visible de la scène...
Debarbieux B., 1995 – « Le lieu, le territoire et trois figures de rhétorique », in L’Espace géographique, n°2, p. 97-112.
Etienne S., 2003 – « First & last & always : les valeurs de l’éphémère dans la presse musicale alternative », Copyright volume ! Autour des musiques populaires, vol. 2, n°1, p. 5-34.
Guibert G., 2004 – Scènes locales, scène globale. Contribution à une sociologie économique des producteurs de musiques amplifiées en France, Thèse de doctorat nouveau régime, Université de Nantes, 540 p.
Touché M., 1996 – « Les lieux de répétition des musiques amplifiées », Les Annales de la Recherche Urbaine, n°70, p. 58-67.
Mots-clefs : scènes locales – territoires musicaux – musiques amplifiées – Vendée.